Trames

Gerty Dambury, auteure dramatique guadeloupéenne est sans doute mieux connue pour sa pièce Lettres indiennes créée à Avignon en 1996 par Alain Timar (Théâtre des Halles) et à New York en 1997 par Françoise Kourilsky (Théâtre Ubu Rep) sous le titre Crosscurrents. Cette fois-ci, Dambury elle-même assure la mise en scène de son œuvre la plus récente, Trames, actuellement en tournée en Guadeloupe après un passage au Musée Dapper (novembre 2008) et au théâtre Aimé Césaire à Fort-de-France. J’ai pu la voir au Ciné-théâtre du Lamentin (sur la Basse-Terre), un cinéma qui devient théâtre à l’occasion, où les fauteuils sont très confortables mais où le dispositif d’éclairage n’est pas totalement adapté à la création théâtrale. L’éclairagiste Jean-Pierre Nepost a pu néanmoins créer des effets de lumière magiques pour cerner le monde des absents dont la présence sous-tend l’œuvre mais que les tendances réalistes de la mise en scène n’ont pas toujours su capter.

Le texte est extrêmement intéressant. Les différentes ‘trames’ de cette œuvre construisent la mise en abyme d’un drame familial dont le dénouement nous rapproche de la tragédie classique. Inspiré d’un vrai fait divers de Guadeloupe, cette histoire montre les étapes d’une confrontation entre une mère sociologue, jouée par Firmine Richard et un fils instable (Jalil Leclaire), SDF, drogué, coléreux, angoissé, blessé par le sort - la séparation traumatisante de ses parents. Plusieurs pistes se croisent pour assurer la complexité humaine des sensibilités qui se heurtent. Le fils obsédé par un père africain absent, cherche à renouer avec cette Afrique qui a tant déçu la mère et très vite, l’ironie de la situation nous frappe: la douleur du manque de père déchire le fils mais celui-ci reste néanmoins très présent par le fantasme d’une Afrique des origines entretenu par le fils, alors que la mère, présence très réelle dans la vie du jeune homme, vit derrière un mur infranchissable qui bloque les rapports entre elle et le jeune homme. Il est évident que si elle semble plus sensible aux misères de ses cas sociologiques (prostitués, mères abandonnées dont les voix enregistrées la hantent) qu’aux besoins de son fils, c’est qu’elle gère mieux les douleurs à distance que les souffrances réelles de ce jeune homme qui envahit son espace et cherche de l’aide alors qu’il dégringole rapidement vers la catastrophe. Des moments de tendresse et de séduction entre les deux alternent avec des explosions de colère lorsque le jeune homme comprend que sa mère est incapable de capter, ou refuse d’entendre, ses signes de détresse.

Par ailleurs, cette danse de mort entre mère et fils se déroule sous l’œil vigilant d’un metteur en scène « scénique », le personnage énigmatique de Dabar, qui fait une apparition de temps en temps pour commenter le jeu et assurer la distance entre les personnages et nous. Mais ce n’est pas seulement ce metteur en scène qui casse l’illusion scénique. La mère et le fils se situent également en dehors du jeu juste avant le dénouement tragique pour décortiquer d’un regard « professionnel » les événements, afin d’empêcher qu’une émotivité trop forte brouille le regard critique. Après tout, il n’y a aucun coupable, il n’y a qu’une profonde incapacité de s’entendre mutuellement et c’est ainsi que l’auteur transforme cette rencontre théâtrale en un autre « cas » que les sociologues pourraient ajouter à leur répertoire d’études humaines. Vision astucieuse d’un théâtre qui croise les sciences humaines d’une manière très efficace.

Toutefois, la production est très inégale. Les différents niveaux de jeu sautent aux yeux et si le fils (Jalil Leclaire) est un charmant jeune homme qu’on a envie de prendre dans ses bras, cela ne change pas le fait qu’il est mal à l’aise dans son corps en tant qu’acteur, ce qui est malheureux puisqu’il est le catalyseur du spectacle. Par contre, la présence de Martine Maximin qui revient à plusieurs reprises comme le Dabar mystérieux et sous les traits d’une des femmes interviewées qui hantent le magnétophone de la sociologue, illumine la scène et met tout son métier de comédienne au service de ce spectacle. Martine Maximin glisse entre les magnifiques éclairages de Jean-Pierre Nepost, pour faire des apparitions très puissantes. C’est à ces moments qu’on se laissait prendre par le jeu car ses plaintes voire ses plaidoiries étaient profondément émouvantes.

Firmine Richard, qui joue la mère, est égale à elle-même : extrêmement à l’aise en scène, elle crée l’impression d’une comédienne qui glisse par-dessus son personnage. Sa facilité en scène donne le sentiment qu’elle a peut-être du mal à travailler les émotions à fond, et c’est cette profondeur qui manquait à sa prestation. Il n’y a aucun doute que cette comédienne passe beaucoup mieux à l’écran. En tant que mamie espiègle dans La première étoile, film que j’ai pu voir récemment en Guadeloupe, elle était l’exemple parfait d’une comédienne qui s’épanouit dans les gros plans où la caméra capte son regard pétillant, surtout dans les situations comiques où son sens du rythme, sa gestualité hyperdramatique et sa personnalité débordante en font une présence remarquable.

On pourrait se demander aussi si l’orientation de cette mise en scène était suffisante pour capter le dialogue entre les tempêtes intérieures, l’intervention du monde invisible, et une théâtralité de distanciation qui vise à casser justement le réalisme théâtral. Il y a eu aussi les panneaux du scénographe Catherine Calixte qui faisaient réfléchir. Et puis, pourquoi ces poubelles remplies de papier rouge? Couleur locale? Excès de réalisme? Nous savons que le fils patauge dans les misères de la rue. Le souligner par une caricature de la rue était de trop. Ce qui importe est le lieu de la mère  : le refuge, le lieu mythique de son salut, désir de secours gâché par l’indifférence apparente de la mère mais où une Afrique des origines plane comme projection de l’imaginaire du jeune homme. Pourquoi pas? J’aurais envie de voir cette pièce entre les mains d’un autre metteur en scène. Tout de même, Trames représente une évolution importante dans la dramaturgie de Gerty Dambury qui explore les possibilités infinies de la théâtralité et qui a bien mérité le prix du SACD en 2008.

Alvina Ruprecht
Gosier, Guadeloupe
mai 2009

Martine Maximin
Photo: Alvina Ruprecht
Martine Maximin: Dabar et la prostituée

Firmine Richard
Photo: Regis Durand de Girard
Firmine Richard: la mère

Jean-Pierre Népost
Photo: Alvina Ruprecht
Éclairagiste: Jean-Pierre Népost

Trames
Trames
Photos: Alvina Ruprecht
Scénographie : Présentée au Ciné-Théâtre du Lamentin, Guadeloupe

Trames
Photo: Emir Srkalovic
Martine Maximin et Firmine Richard

Trames
Photo: Emir Srkalovic
Firmine Richard