Projection Privée
De Rémi De Vos
Une production du Grace Art Theatre (Guadeloupe)
Avec le soutien du Conseil régional et du Conseil général de la Guadeloupe et la Ville des Abymes.
Mise en scène : Greg Germain
Décor et costumes : Eric Plaza Cochet
Paysage sonore : François Leymarie
Distribution :
Firmine Richard : La femme
Philippe Calodat : Le mari
Nathaly Coualy : La copine
Le poste de télévision : Le poste de télévision
Un salon avec divan, table, rayons de rangement, une porte menant à la chambre, et un appareil de télévision qui ne cesse de marcher. Intérieur petit bourgeois où la télé est, en effet le quatrième personnage dans ce drame intime, mis en scène par Greg Germain, un drame qui nous trompe dans tous les sens dès le début.
En effet, la pièce de Rémi De Vos débute comme un simple boulevard bourgeois, avance vers du théâtre de l'absurde, et aboutit à une ambiance d'inquiétante étrangeté, par petits coups de théâtre interposés.
Une femme (Firmine Richard) est collée religieusement devant son poste de télévision presque hypnotisée par tout ce qu'elle entend et tout ce qu'elle voit. Elle est seule. La nuit avance. Soudain arrive le mari (Philippe Calodat) avec une belle jeune femme (Nathaly Coualy) parfois blonde, parfois brune, selon les humeurs. Celle-ci semble très gênée par la situation, du moins au début. S'ensuit une conversation où nous avons un peu l'impression que le mari est amnésique (symbole d'un mariage qui ne marche plus) et que la femme n'est pas trop bouleversée par la situation car sa réalité à elle, passe plutôt par l'écran de télévision. Chacun évite la réalité à sa manière, et la situation s'empire.
Les tentatives de communication s'échouent parce qu'elles sont interrompues par la télévision qui s'insinue dans les attentes de la femme et envahit tous les moments de sa vie. Vite, la relation évolue vers une sorte de complicité entre les deux femmes lorsque la femme mariée tente d'initier la jeune copine aux merveilles et aux complexités des mondes que la télé leur offre. Qu'il s'agisse des réseaux d'aventures sentimentales, de la vie et la mort des vedettes ou de la vie sexuelle des poissons.
Mais les conversations déraillent quand les oublis du mari s'aggrave, et, de son côté la femme n'entend même plus la voix son mari lorsqu'il parle. La vie est en train de basculer profondément. En effet, les relations de pouvoir se recomposent, et le monstre se réveille!
Ce texte aurait pu être présenté comme un boulevard tout court et voilà exactement ce que le metteur en scène a décidé de faire, ce qui est dommage car le monde de Remi De Vos nous entraîne plus loin, il nous fait passer par les soubassements de la conscience moderne ou l'électronique, les ordinateurs et les télévisions deviennent envahissent et transforment nos rapports avec la réalité, effaçant ainsi les traces de notre humanité. La thématique n'est certainement pas neuve, il y a des clichés qui surgissent de temps en temps sans le moindre doute. Toutefois, ce texte dramatique donne au metteur en scène une infinité de possibilités de jouer sur l'esthétique scénique et on a drôlement l'impression que ce spectacle n'en a pas profité.
Au fur et à mesure que le femme s'enfonce dans le monde de la télé, la représentation ne donne aucun signe de cette évolution, le fait que quelque chose d'étrange est en train de se passer, que la réalité subit une désagrégation sérieuse. Aucun jeu de lumières, aucun jeu de bruitage qui correspond à cette plongée dans l'irrationnel (à part la télé qui grésille de jalousie (?) lorsque la femme s'approche trop de la copine). Surtout, le jeu des comédiens ne se transforme pas du tout. Pourtant il y a une rupture évidente. Est-ce un plongé dans la folie, un glissement vers la déshumanisation? Tout est évoqué mais rien n'est dit explicitement et on a l'impression que le texte laisse la liberté totale au metteur en scène pour cerner les choses comme il les entend. Le seul inconvénient ici c'est que la mise en scène ne saisit pas les pistes que le texte lui propose.
Il faut dire que les acteurs, qui sont tous très capables, auraient pu sans le moindre problème aller plus loin dans un jeu qui signale la tournure inquiétante des événements. Philippe Calodat, fondateur du Grace Art Theatre, est d'une aisance remarquable, quelle que soit l'émotion projetée, c'est un acteur qui respire dans l'espace de jeu comme un poisson dans l'eau. Le théâtre est son élément et la joie qu'il transmet lorsqu'il joue, est palpable.
Firmine Richard, vedette du cinéma français est une autre présence intéressante qui assume son personnage avec beaucoup de sensibilité et d'humour, sans glisser vers le cabotinage.
J'ai beaucoup aimé la prestation de Nathaly Coualy. Née en Guadeloupe, elle fait sa carrière en France et en la regardant, on voit que son jeu est porté par une formation sérieuse. Une comédienne qu'il faudrait surveillée.
Il est certain que les difficultés techniques sont à prévoir dans la structure du Festival Off où les pièces se suivent à un rythme très serré et où il faut débarrasser rapidement le plateau pour faire de la place au groupe suivant. Mais, dans ce cas, on dirait que la logistique de la scène n'y était pour rien, il s'agissait de la « presque absence » d'une vision claire de l'interprétation scénique.
Il faut dire pourtant, que la situation coquasse, le rythme vif de l'ensemble, grâce au metteur en scène et le jeu très agréable des acteurs, portent l'événement. Projections Privées n'est pas du tout sans intérêt.
Alvina Ruprecht
Avignon, 14 juillet, 2008
Photo: Alvina Ruprecht
Fermine Richard (la femme)
Photo: Alvina Ruprecht
La copine (Nathalie Coualy), le mari (Philippe Calodat)
Photo: Alvina Ruprecht
Philippe Calodat et Firmine Richard
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