♦ « Un dialogue interculturel : Carole FRÉCHETTE (auteure, Québec) et Lucette SALIBUR (metteure en scène, La Martinique) »

Rencontre animée par Diane PAVLOVIC (École nationale de théâtre du Canada), le 29 octobre 2009 à 19 h 30, au Centre des auteurs dramatiques, 261, rue du Saint-Sacrement, Montréal

Diane Pavlovic :
Je suis très heureuse de vous souhaiter la bienvenue ce soir. Je vais d'abord vous présenter brièvement mes deux invitées, Carole Fréchette et Lucette Salibur, puis nous parlerons un peu du Collier d'Hélène, au cas où certaines personnes ici ne connaîtraient pas la pièce. Nous aborderons ensuite la façon dont Lucette a travaillé sur le texte ainsi que les enjeux culturels de l'œuvre, qui ont forcément d'autres résonances en Martinique qu'au Québec. Carole pourra aussi nous parler de la façon dont la pièce a été montée ailleurs dans le monde.

Carole Fréchette a été formée comme comédienne à l'École Nationale de Théâtre du Canada. Elle a participé à l'aventure du Théâtre des Cuisines, une troupe importante de création collective des années soixante-dix, mais elle se consacre exclusivement à l'écriture depuis une bonne vingtaine d'années. Ses pièces ont été traduites en plusieurs langues et jouées partout dans le monde. Parmi les nombreux prix qu'elle a reçus, citons le prix de la Francophonie de la SACD pour son rayonnement dans l'espace francophone ainsi que le prix Siminovitch ici au Canada, qui est la plus grande distinction nationale pour un artiste du théâtre. Elle a été présidente du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) de 1994 à 1999. Elle a fait un peu de critique durant les années 80. Elle enseigne régulièrement à l'École Nationale de Théâtre du Canada, où elle encadre le travail des étudiants en écriture dramatique.

Lucette Salibur est pour sa part auteure, metteure en scène et actrice. Guadeloupéenne installée depuis trentre trois ans en Martinique, elle a fondé, il y a une vingtaine d'années, la compagnie du Théâtre du Flamboyant à Fort de France. Elle a écrit du théâtre jeune public notamment pour le centre dramatique national de Sartrouville, elle a monté avec sa compagnie de nombreux textes contemporains français et antillais, ainsi que quelques adaptations, comme Le cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire, qu'elle intitula le Peuple de Ti Jean. Lucette fait également du théâtre de rue, où elle expérimente avec des marionnettes géantes. Elle a monté, entre autres, une traduction créole d'En attendant Godot, de Monchoachi elle a joué dans Woyzeck de Büchner. Elle a aussi dirigé une mise en lecture d'un texte de Daniel Boukman. J'ai côtoyé Lucette Salibur alors que je présidais une association qui s'appelait Textes en paroles, consacrée à l'écriture théâtrale de la Caraïbe. J'ai connu le travail de Lucette ; elle a été sélectionnée par le comité de lecture en tant que metteure en scène.

Afin de lancer la discussion, j'inviterais Carole Fréchette à nous rappeler les circonstances entourant l'écriture de la pièce.

Carole Fréchette :
Le collier d'Hélène est née d'un projet mis sur pied en 2000 par le festival des Francophonies à Limoges, en collaboration avec le Centre Wallonie-Bruxelles. Le festival de Limoges accueillait depuis longtemps des auteurs des pays du Sud ; ils ont eu envie d'inverser la situation et de prendre des auteurs du Nord et de les emmener visiter un pays du Sud. Nous étions neuf auteurs de la Francophonie invités à passer un mois au Liban. C'était en 2000, une époque relativement paisible là-bas, c'était huit ans après la fin de la guerre. Plusieurs activités avaient été mises en place dans le cadre de notre passage: spectacles, rencontres avec des intellectuels et des personnalités du monde politique, visites culturelles diverses. On a ainsi vécu au rythme des Libanais pendant un mois. Le « contrat », c'était qu'au retour, chacun devait écrire une pièce inspirée par son séjour là-bas. Et c'est comme ça que j'ai écrit Le collier d'Hélène. Tous les auteurs présents ont comme moi écrit une pièce, et les neuf textes ont été publiés chez Lansman à notre retour.

Quand j'étais là-bas, ma première impression, c'est que j'étais étrangère. Il s'agissait de mon premier voyage au Moyen-Orient, la première fois que je visitais un pays qui avait connu la guerre récemment et qui en portait encore très fortement les marques. Je me suis dit très vite : « Si j'écris une pièce inspirée par mon séjour ici, il va falloir que j'adopte le point de vue de l'étrangère », parce qu'il me semblait que c'était celui que je ressentais le plus fortement. Donc, ça c'est le point de départ, la première chose que j'ai sentie. Il y a une anecdote aussi qui est à l'origine de la pièce. Deux ou trois jours après notre arrivée, on nous a fait visiter Beyrouth, et j'ai perdu un petit collier de perles blanches que j'aimais beaucoup. La ville était en pleine reconstruction, c'était déjà chaotique, des maisons démolies à côté de buildings tout neufs, mais pendant quelques secondes, je me suis dit : « Peut-être que je peux le retrouver ... », même si ça n'avait pas beaucoup de sens.

Malgré cela, j'ai aimé cette idée tout de suite : j'ai dû avoir l'impression qu'il y avait quelque chose qui ressemblait à ma situation dans cette image d'un petit collier perdu dans la grande ville. J'ai donc noté cette idée-là dans mon cahier : une femme perd son collier dans Beyrouth. Et puis j'ai continué le voyage, parce qu'on n'avait pas beaucoup le temps d'écrire. Comme c'était la première fois qu'un voyage comme ça était organisé, il y avait beaucoup de choses qui s'improvisaient sur place. C'était un voyage très chargé émotivement, la rencontre avec le pays, mais aussi un périple d'un mois en minibus avec neuf auteurs masculins, je peux vous dire que c'est une expérience humaine assez intense. J'ai beaucoup senti que j'étais bien femme et c'est aussi pour ça que ça m'a bien plu cette idée de collier, qui était un truc hyperféminin. Perdre son collier, quelle chose futile! Et délicate, et dérisoire, et intime et tout ça. Au sein de notre groupe, plusieurs auteurs menaient à fond le débat politique à tous les jours ; je crois que j'ai senti le besoin de trouver ma propre porte d'entrée sur cette réalité-là.

Je trouve que c'est extrêmement difficile de parler de la guerre au théâtre ou en littérature. Je me disais, avant de partir au Liban : « En tout cas, moi, je n'écrirai pas une pièce sur la guerre. Tout a été dit sur la guerre, je ne vais quand même pas dire que ce n'est pas beau, que ce n'est pas bien. » Mais la guerre m'a rattrapée, parce qu'elle était si présente là-bas. Le symbole du collier m'a permis d'aborder le thème de la perte, à travers cette femme étrangère qui a sa vie de privilégiée mais qui ressent quand même la perte, celle du collier mais aussi la perte d'une époque de sa vie, d'un sentiment, comme elle dit, d'avoir sa place sur la terre. Ce vide-là fait écho à la grande perte d'un peuple, à la souffrance d'un peuple.

Diane Pavlovic :
Pour ceux qui ne connaîtraient pas Le collier d'Hélène, peux-tu, en deux, mots, nous résumer la pièce?

Carole Fréchette :
La pièce commence sur cette femme étrangère dans une ville arabe qui n'est jamais nommée et qui a connu la guerre. Constatant la disparition de son collier, elle hèle un chauffeur de taxi qu'elle croit reconnaître et lui demande s'il a vu le bijou. L'homme ne comprend rien, il ne parle que l'arabe, il baragouine deux mots et répète toujours : « Taxi ! taxi ! », parce qu'ils veulent toujours te faire monter dans leur taxi. La femme commence par refuser, puis elle accepte sur un coup de tête en se disant qu'elle refera à rebours tous les endroits visités dans la ville pour tenter de retrouver son porte-bonheur. Elle débarque d'abord sur le site d'un chantier de construction, parce que dans ses pérégrinations, elle s'était arrêtée à cet endroit alors désert parce que c'était dimanche. Elle se fait recevoir assez durement par un contremaître qui lui dit : « Mais madame, mais regardez, c'est un chantier ici. » Un peu sonnée, elle remonte dans son taxi. Elle rencontre ensuite cette femme qui a perdu son fils, puis un réfugié palestinien qui va lui dire : « Moi, j'ai perdu ma place sur la terre, le carré où je peux poser mes pieds, le futur de mes enfants et ma capacité à crier. » Le principe, c'est qu'elle rencontre différentes personnes qui ont perdu beaucoup plus qu'un collier. C'est un parcours initiatique pour cette femme qui s'ouvre tranquillement à la souffrance d'un peuple, à une réalité. Pour moi, c'est aussi un parcours intime et personnel.

Diane Pavlovic :
Lucette, j'aimerais que tu nous éclaires un peu sur ton propre parcours.

Lucette Salibur :
Pour situer brièvement mon parcours professionnel, il faut savoir que j'ai eu la chance de profiter de la formation qu'Aimé Césaire a mis sur pied en Martinique au début des années 80. Nous n'avons pas comme ici des écoles de formation, à chacun de créer sa propre voie. En 1982, Aimé Césaire a voulu monter une troupe professionnelle et il voulait que cette troupe n'ait rien à envier à une troupe qui se serait formée dans l'Hexagone. On a donc eu des professeurs qui sont venus des quatre coins du monde, du Conservatoire de Paris, notamment ; je pense à Pierre Vial pour ne citer que lui. Pendant cinq ans, on a eu la chance d'avoir un cursus digne d'une formation théâtrale professionnelle. Ensuite, grâce à l'AFDAS, organisme de formation continue, j'ai pu faire de nombreux stages dont ceux avec Daniel Mesguisch ou encore avec Jean-Claude Carrière ou encore à la Cartoucherie de Vincennes à Paris avec Sotigui Kouyaté comédien permanent chez Peter Brook.

Après ma formation, la ville de Fort de France m'a demandé de prendre la responsabilité du département de théâtre. Je m'occupais de former aussi bien des enfants que des adultes grâces à différentes séries d'ateliers ; ce qu'on m'avait transmis, je le retransmettais avec entrain. En 1989, j'ai fondé une compagnie théâtrale qui a l'époque s'appelait le Nowtéat, c'est-à-dire théâtre de l'ici et maintenant, que nous avons plus tard rebaptisé Compagnie Théâtre du Flamboyant. Depuis trois ans, nous sommes implantés à Schoelcher, une ville juste après Fort de France quand on monte vers le nord. Là nous y avons créé un centre de recherche, de création et de diffusion théâtrales, l'Azwel. Petit théâtre de 50 places, où nous pouvons expérimenter dans notre laboratoires-théâtre, où nous dispensons des formations dans nos ateliers théâtres pour enfants et pour adultes et où nous répétons nos spectacles ; Le collier d'Hélène a été créé dans ce lieu.

Carole Fréchette :
Je crois que c'est grâce aux efforts du CEAD que tu as découvert ma pièce.

Lucette Salibur :
L'association ETC Caraïbes et le Théâtre de Fort de France, en collaboration avec le CEAD, ont organisé l'événement Regards croisés, un échange entre la Martinique et le Québec. On m'a demandé de diriger des lectures, et j'ai choisi Le collier d'Hélène parmi les textes qu'on me proposait. Je ne connaissais pas Carole ni son travail. Au fur et à mesure qu'on travaillait à la table avec les comédiens, le texte se révélait comme autant de poupées russes qu'on ouvre inlassablement et qui dévoile à chaque fois une nouvelle poupée; chaque relecture me permettait de saisir les subtilités de l'œuvre.

Pour utiliser une expression bien de chez vous, je crois que je suis tombée en amour avec le texte. J'ai eu un coup de foudre pour le texte parce qu'il a une résonance avec notre réalité insulaire. Ce que j'apprécie dans ce texte, c'est que même si on peut le situer au Liban, il reste ouvert, et je peux y trouver ma place. Dans Le collier d'Hélène j'y lis une réflexion sur la problématique de la guerre, la problématique de l'exploitation de l'homme par l'homme et cela rentre en résonnance avec notre mythe fondateur à nous, : la colonisation, ce qui se passe au Liban n'est en fait pas si différent de ce que nous avons vécu , il s'agit toujours de colonisation.

Et ça vient éclairer un peu tous les écrits de Césaire, à l'époque on refusait la portée humaniste de ses textes, on ne voulait y voir que des histoires de noirs et de blancs. Malgré son texte Discours sur le colonialisme, où il démontrait bien que son cri était pour l'humanité de l'homme ... aujourd'hui on ne peut plus ne pas prendre le poids de tout ce qu'il a pu écrire car la colonisation rattrape chacun d'entre nous, la colonisation n'est plus seulement dans les pays ultra périphériques, elle est au cœur de la ville ; dans chaque délocalisation d'usine, dans chaque « profitation » de l'homme sur l'homme, c'est la colonisation ou plutôt son_ moteur_ qui est en marche ...

Lorsque je lis un texte, il y a souvent une phrase-clé qui m'accroche, qui me donne vraiment envie de plonger. Dans la pièce de Carole, ce fut : « On ne peut plus vivre comme ça. » Car oui, de plus en plus, on ne peut plus vivre comme ça. La vie ne peut plus vivre comme ça dans le monde d'aujourd'hui.

Donc, j'ai eu envie d'approfondir, d'aller fouiller, je me suis documentée un peu pour connaître les motivations de l'auteure. J'ai été très touchée par ce que Carole racontait à propos de cette femme qu'elle avait rencontré dans un camp palestinien et qui lui avait dit que la situation était implosive et que ce n'était plus possible et qu'il fallait qu'elle le dise, qu'elle l'écrive. Je me suis dit que l'auteure avait fait sa part ; maintenant, un texte de théâtre, il lui faut un metteur en scène derrière qui le fait entendre. Je sais que l'œuvre de Carole est largement diffusée, mais il faut que la parole puisse être portée dans tous les coins et recoins du monde. Et moi j'étais prête à la porter cette parole-là, à me l'approprier, j'avais vraiment, moi, envie de dire ce texte.

Nous avons commencé à travailler sur Le collier d'Hélène en 2007, mais disons que nous avons connu une gestation très difficile, nous avons dû prendre plusieurs pauses. C'est en 2008 que nous l'avons créé. D'un autre côté, cette gestation a été très porteuse, parce que chaque fois qu'on s'arrêtait et qu'on revenait, on sentait que la motivation de tous les intervenants était décuplée. De plus, étirer le travail sur une longue période m'a permis de mener plusieurs recherches. En effet, si l'œuvre résonnait très fortement en moi, je ne savais pas par où commencer pour créer notre spectacle. Pour moi qui connaissais très peu le Liban, le réseau Internet m'a ouvert bien des portes. J'ai consulté plusieurs articles dans Le Monde, j'ai amassé plusieurs photos et image de Beyrouth, je me suis mise en chasse de témoignages.

Une fois ce matériel amassé, on a fait beaucoup, beaucoup, beaucoup de lectures à table. On a attendu que ça descende, que ça se dépose en nous et que ça fasse son chemin. Nous avons eu de la chance, Carole a pu assister à notre première lecture publique. Plusieurs questionnements m'habitaient encore, je jonglais avec le personnage du rôdeur, dont je ne comprenais pas encore l'utilité et que j'étais tentée de supprimer. Comme je suis moi-même auteure, je me suis dit : « Je ne peux pas faire ça. Il doit y avoir une raison. »

J'avais eu déjà quelques séances de travail avec un scénographe, Ludwin Lopez, qui dans un premier temps, m'avait fait une proposition de puzzle. Il m'avait dit : « Au Liban, tout est déconstruit, alors, on va faire des puzzles, et pendant tout le jeu, vous allez travailler sur les puzzles que vous allez construire puis déconstruire. » J'avais trouvé l'idée intéressante, nous avions des pièces de puzzle en mousse que nous manipulions, mais si le concept n'était pas dénué d'intérêt, dans la pratique, ça ne fonctionnait pas très bien. Les morceaux étaient fabriqués en mousse, et on ne pouvait rien en faire, ça manquait de solidité et ça coinçait le jeu de l'acteur qui du coup devenait soucieux de son décor. Symboliquement le puzzle fonctionnait mais pas pour l'idée du jeu que je voulais développer ; on ne l'a donc gardé que dans l'affiche.

De plus, je n'aime pas encombrer la scène, je préfère vraiment lorsque l'espace demeure ouvert à l'imaginaire. Peut-être est-ce parce que je m'intéresse aussi bien à l'écriture pour enfants qu'à l'écriture pour adultes. Donnez la place à l'imaginaire. En cherchant, nous avons réalisé qu'il y a dans notre patrimoine culturel, dans nos jeux d'antan, un jeu fort simple avec une roue que l'on pousse et après laquelle on court, qui existe aussi en Afrique. Cette roue serait notre taxi et notre décor. Quand on est dans l'insularité, on est obligé d'être pratique : Pour le collier d'Hélène, tous nos décors tiennent dans un grand sac de voyage, et un pneu, ça se trouve partout dans le monde, dans n'importe quel dépotoir. On a fait des séances de travail où on a tous déposé le texte et où on a cherché à expérimenter toutes les ouvertures de jeu que ce pneu pouvait nous apporter. On a fait une recherche d'images de jeu en utilisant le pneu dans de multiples façons. Tout le monde s'y est mis. À partir de la banque de données ainsi constituée, j'ai commencé à faire le tri, à choisir les éléments qui me parlaient plus que d'autres. Les images qui étaient chargées ...

Diane Pavlovic :
Le texte met en opposition une Occidentale, une femme du nord, avec un homme et une ville d'une autre culture. Dans votre version, c'était une actrice noire, Daniely Francisque, qui jouait le rôle d'Hélène. Comment as-tu opéré cette transposition?

Lucette Salibur :
Pour moi, cette opposition est plutôt symbolique, elle dépasse la confrontation entre la femme du Nord et le monde du Sud. On parle plutôt du choc produit par la rencontre de deux mondes étrangers, qui ne se connaissent et ne se reconnaissent pas. Il y a un monde qui pense en savoir plus sur l'autre mais qui ne l'a jamais vraiment regardé. D'ailleurs, Hélène, elle ne regarde pas Nabil, elle reste très longtemps sans le voir réellement. C'est quand elle aura eu sa rencontre avec l'homme qui a perdu sa place sur la terre qu'elle va commencer à le voir, en fait. Quand elle arrive, elle parle à Nabil pour le taxi, mais elle ne se préoccupe que d'elle, elle n'est pas attentive à lui. Elle lui parle sans lui parler, sans vraiment prendre conscience de qu'il est. D'ailleurs, c'est bien longtemps après qu'elle lui demande son prénom. Se nommer, s'identifier en Afrique n'est pas anodin : on relie son père, sa mère son grand père sa grand-mère, on a la conscience du tout, on vient de quelque part, en se saluant c'est toute une famille qui est saluée. Pour moi c'est la reconnaissance de l'autre, de tout ce qu'il porte, de tout ce qui le fait être lui. Hélène est ignorante de tout cela, elle ne voit qu'un chauffeur de taxi elle ne voit pas tout ce qu'il porte avec lui, sa famille, son histoire, son pays. D'ailleurs elle ne voit même pas le chauffeur de taxi car elle ne s'intéresse pas ...

J'ai situé au départ cette Hélène dans sa suffisance, et l'égocentrisme n'est pas propre à un peuple, il peut être de toutes les couleurs. Parce que pour moi, la femme du Nord ne signifie par nécessairement une personne aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Pour moi, la femme du Nord, c'est l'Autre. Tous mes acteurs sont Antillais, ce sont tous des acteurs noirs, alors j'ai montré cet altérité chez Hélène par son comportement : elle reste enfermée dans sa bulle, elle ne rencontre personne. Et même lorsqu'elle rencontre la femme, que j'ai présentée un peu comme un miroir d'Hélène, elle ne la rencontre pas réellement non plus. Pourtant, elles sont dans deux souffrances qui pourraient être communes. Mais elle est tellement dans sa préoccupation et dans son monde un petit peu nombriliste qui fait qu'elle n'entend rien et qu'elle ne voit rien. C'est peut-être pour ça qu'elle n'arrive pas à trouver son collier.

Diane Pavlovic :
Carole, toi qui as vu la pièce interprétée dans différents contextes culturels, comment les gens jouent-ils sur cette opposition Nord-Sud?

Carole Fréchette :
Lorsque je suis allée voir la lecture à Fort de France, j'ai été très étonnée que Lucette n'ait pas choisi une Hélène Blanche, j'ai trouvé cette décision très intéressante. Toutes les couleurs de peau se côtoient en Martinique, et on se dit que la tension va se jouer entre une Hélène blanche et les autres personnages noirs. J'ai vu une production belgo-sénégalaise où Hélène était belge et tous les autres étaient sénégalais. Si les créateurs n'avaient rien changé du texte et conservaient toutes les références arabes, il était évident qu'Hélène circulait dans une ville africaine ; il y avait beaucoup de musique live sur la scène, on jouait beaucoup plus globalement sur cette dualité Noir/Blanc. Il y a eu ces deux mises en scène par Nabil El Hazan avec une Hélène française et des acteurs du Moyen-Orient, une première version au Liban et une autre version que j'ai vue à Jérusalem avec des Palestiniens. Parfois, même si toute la distribution est française ou islandaise par exemple, les artistes insistent pour donner aux personnages arabes un accent arabe, ou encore ils habillent Sarah d'un voile. D'autres ne jouent pas du tout là-dessus, et l'expérience me pousse à croire que ça peut marcher tout autant si on accentue cette dualité culturelle et raciale que si on y accorde que peu d'importance.

Diane Pavlovic :
Ici à Montréal, dans la production du Théâtre d'Aujourd'hui, c'était un acteur algérien qui jouait le rôle de Nabil.

Carole Fréchette :
En effet, c'était Agoumi qui jouait tous les personnages arabes. Je suis d'accord avec Lucette : on peut miser sur cette tension d'altérité et cette fermeture à l'autre sans insister sur la différence raciale.

Lucette Salibur :
Je ne voulais pas jouer sur cette dualité Blanc/Noirs parce que justement, selon moi, il y a une supercherie qui consiste à nous faire croire que la base du problème se situe dans un conflit entre Noirs et Blancs. Pour moi, ce problème-là vient masquer d'autres problèmes qui, aujourd'hui, nous rattrapent partout dans le monde et dont les crises et les guerres sont les conséquences. Je veux dire que cette problématique-là va bien au-delà d'une histoire de couleurs. Et lorsque moi j'interroge mon histoire à moi, personne créole, avec mon histoire de colonisation, je suis bien consciente que tout cela était un prétexte par rapport à des volontés, des choix économiques. Il est toujours bien plus facile de diviser pour régner, quel que soit l'époque ou le pays où on se trouve, car l'humain est ainsi fait, il a toujours besoin de sentir que, même s'il est dominé d'une part, il y aura toujours un plus petit qu'il pourra à son tour asservir. Et ainsi fonctionne la mise en place de la division.

Ma réplique fétiche, « On ne peut plus vivre comme ça », je me devais de l'inscrire dans chacun de mes choix. On ne peut plus réduire nos problèmes à des histoires de couleurs, il faut interroger notre posture dans le monde, notre façon de recevoir l'autre et de communiquer avec lui. Pour moi, en focalisant sur les relations Noirs/Blancs, on serait passé à côté du problème, on serait encore resté à la surface des choses et on aurait contribué à faire tourner la machine toujours dans le même sens. Au théâtre, ce qui m'intéresse, c'est de ne pas aller dans le sens de la machine. Je pense que cette machine-là, il y a des petits grains de sable qui l'enrayent un peu. Je pense que le théâtre est justement le lieu où on peut ouvrir et lever un peu les couvertures et aller voir ce qu'il y a en-dessous.

Diane Pavlovic :
En parlant de tes choix, sur quoi tu as travaillé surtout?

Lucette Salibur :
Mon parti pris scénique, c'est que tous les différents personnages qui vont rencontrer Hélène vont la déstabiliser jusqu'à un point de non-retour. Elle rencontre des gens, elle va essayer d'entrer en communication avec le contremaître par exemple, sauf que lui il est dans son action, scéniquement, on le voit avec des chiffons. Chez nous, autrefois, il y avait ce qu'on appelait des radkabann'. Les radkabann' ce sont les vieux vêtements qu'on n'utilise plus et que l'on conservait sous sa paillasse. Les gens pauvres s'en servaient ainsi pour gonfler la paillasse et en faire un matelas acceptable. Tout le monde a un vieux pull qu'il aime bien et qu'on ne veut pas quitter même s'il insupporte les autres, qu'on ne veut pas quitter parce qu'on est bien avec, parce qu'il porte toutes nos petites effluves. Et bien se sont autant de radkabann '. On voit donc le contremaître sur la scène en train d'installer au sol toutes ces radkabann' qui symbolisent le pays d'après guerre avec tous ces morts jonchant le sol, il devient un peu comme le gardien du cimetière.

Hélène vit ensuite une seconde rencontre, cette fois-ci avec la femme. Scéniquement, on voit Sarah et Hélène qui sont comme deux sœurs siamoises parce qu'elles se parlent, mais elles ne se rencontrent pas. On voit deux souffrances qui sont en train de s'exprimer. Je fais alors jouer une musique qui sera la seule connotation arabe du spectacle, au moment où elles sont dans cette douleur-là, quand la femme se rend compte que son fils ne reviendra pas. Parce que jusque-là, cette femme avait mis en place un rituel pour survivre. Comme elle l'explique dans le texte, depuis le jour où elle a perdu son fils, elle s'habille, elle se pomponne, elle se met du rouge à lèvres et elle descend en ville chaque lundi pour le chercher. Elle se réfugie dans le déni, et un peu dans la folie aussi, mais après tout, la folie, c'est quoi? Des fois, vaut mieux être fou, c'est un système de défense lorsque les plombs disjonctent.

En répétition, on a placé tous les personnages dans des positions paradoxales, c'est-à-dire en leur faisant dire autre chose avec le corps que ce que le texte suggère. Je voulais chercher ce que l'être humain met en place pour survivre dans des situations extrêmes. En novembre dernier, nous avons vécu en Martinique un tremblement de terre assez fort. C'était mon premier, et c'est vrai qu'on se sent d'une telle impuissance. Vous vous demandez si le sol va s'ouvrir, si vous allez disparaître. Il y a toutes sortes de choses qui passent dans votre tête, mais vous n'y pouvez rien. Et moi je me dis, les gens qui vivent dans les pays en guerre, on les voit à la télé, mais on prend rarement le temps de se dire : « Mais à quoi ressemble la vie de ces gens-là, dans ces espaces-là ? » Vous êtes là, vous marchez, et soudain pouf, tout s'effondre autour de vous, vous sortez sans savoir si vous allez rentrer. Automatiquement, l'humain met en place des systèmes de défense pour survivre. Donc, c'est vrai que cette pièce m'a baladé dans des endroits où je ne m'y attendais pas. C'est pour ça que je me suis vraiment passionnée.

Hélène, tous ces personnages la déstabilisent. La femme va la déstabiliser. Scéniquement, sur ce pneu, on la retrouve complètement à l'envers, elle a les pieds en l'air, c'est le moment où elle dit : « Mais où est-ce que je suis? Dans quel pays? Je sais plus ... » Elle est complètement chamboulée. Je cherche toujours à développer des images visuelles très fortes. Je répète souvent que le théâtre pour enfants, c'est comme un livre. Si tu ne peux pas lire la légende, les images doivent aidées à le faire. Il faut que les gens puissent lire au moins les images. Quand Hélène rencontre l'homme, que celui-ci l'aperçoit et qu'il l'a soulève dans ses bras, elle change alors de point de vue. Nous observons toujours une situation à partir de là où nous sommes ; en ce moment, je suis en train de voir de Montréal, ça me fait beaucoup de bien, ça me permet de prendre une distance par rapport à mon quotidien. Je ne sais pas si vous avez vu La société des poètes disparus, ce film avec Robin Williams où à la fin, il y a tous les élèves qui montent sur leur table pour rendre hommage à ce professeur qui les a poussé à regarder la vie autrement ? Cette scène du spectacle se veut un petit écho à ça. Lorsque l'homme hisse Hélène sur ses épaules, là elle se rend compte qu'elle pensait piétiner des chiffons auxquels elle n'accordait que peu d'importance ; et brusquement, elle se rend compte que ce ne sont pas des chiffons qui jonchent le sol mais des morts. Les morts, l'esprit des morts dans un pays d'après guerre ...

Et c'est à partir de ce moment-là qu'elle commence à voir, c'est là qu'elle demande à Nabil son nom. Et Nabil, ce personnage ô combien pas silencieux, je l'ai perçu un peu comme un conteur, par rapport aux histoires littéraires de par chez-nous : il rythme la pièce, il revient toujours comme un narrateur, il est à la fois conteur et guide spirituel. Le fait d'avoir un seul acteur pour jouer les différents rôles me permet aussi de rentrer dans un espace un petit peu magique où on ne sait pas si ces trois personnages n'en forment pas en fait qu'un seul. Est-ce que le personnage de l'homme n'est pas celui qui, contremaître, a semé ses gris-gris autour d'elle (chiffons) et qui attend que les gris-gris produisent leur effet afin qu'elle puisse se transformer? Et toutes ces personnages qu'elle rencontre Hélène, ne serait-ce pas toujours le même qui se métamorphoserait ? C'est une lecture possible que j'ai élaborée avec Rudy, car je me disais que cet aspect magique interpellerait ses racines haïtiennes et lui permettrait de camper aussi admirablement ces différents personnages.

Diane Pavlovic :
Carole, as-tu la chance de voir la production, ou du moins une captation vidéo ?

Carole Fréchette :
Non, malheureusement, je n'ai pas vu le spectacle. J'aimerais éventuellement voir l'enregistrement qui a été fait.

Lucette Salibur :
Je suis assez réticente à l'idée de présenter des extraits vidéo parce que je trouve que le spectacle vivant y perd beaucoup. De plus, dans mon travail sur l'espace scénique, je privilégie la création d'une atmosphère qui permet de mettre l'accent sur le jeu des acteurs et l'émotion. D'une manière générale, dans mes mises en scène, j'incite l'acteur à fouiller son émotion c'est elle participera à établir le point de contact, entre la scène et la salle. L'espace vide si cher à Peter Brook m'est également très cher et sans le vivant pour donner de la consistance à ce vide apparent… Je tique toujours un peu à la restitution enregistrée, mais bon!

On a eu une expérience à Barcelone alors que l'on jouait Le gouverneur de la rosée de Jacques Roumain, une pièce magnifique dont l'adaptation dramaturgique a été faite par Ina Césaire (fille d'Aimé Césaire). La pièce, en français, était présentée devant un public d'initiés, de personnes habituées à la chose théâtrale, et on se demandait vraiment si les spectateurs allaient nous comprendre et nous suivre. Sachant qu'on était dans un espace non-francophone, tous les acteurs se sont investis ailleurs que dans la parole. Je veux dire par là qu'on était dans le sens des mots, on était dans la source des mots parce qu'on savait que le mot en lui-même n'allait pas être entendu, sinon que par les quelques francophones présents. Nous voulions aller à la source du mot pour restituer l'émotion qui préfigure le mot, et avoir ainsi une chance de toucher notre public, d'être compris au-delà des mots. Quelle a été notre surprise de recevoir une ovation debout, on en a pleuré!

Diane Pavlovic :
Comme tu parles de la source des mots, je voudrais que tu nous dises comment tu avais travaillé avec la langue de Carole, qui est quand même une langue assez travaillée, avec ses rythmes propres, ses assonances particulières.

Lucette Salibur :
Au départ, je voulais être dans le texte, je voulais être certaine de tout comprendre et de ne pas faire de contresens. Quand je disais qu'au début, je me demandais par où commencer, c'est justement parce que texte est bien construit et que la narration reste toujours un défi, car on veut bien saisir les rouages du récit. Il y a un déclic à un moment donné qui se produit, il y a un moment où pouf, tu lâches prise, tu te laisses porter par la musique, par le rythme de l'auteure. Au début du travail, le personnage du rôdeur m'indisposait, je ne savais pas quoi en faire, pour moi il arrivait comme un cheveu dans la soupe (rire)… et puis hop au détour d'une répétition, il a prit son sens, j'ai réalisé que ce personnage apportait une grande respiration au récit. Et le public ne s'y trompe pas, c'est le moment où les rires fusent ; et toute la force de ce qui est dit s'infusent alors profondément. Bravo, Madame Fréchette! Quand on travaille longtemps à la conception d'un spectacle, on peut rester prisonnier du texte et des idées qu'on s'en fait. Avec Le collier d'Hélène, quand on a décidé de lâcher prise, on a vu que toutes nos idées nous avaient nourris, tout s'était déjà déposé en nous et la musique, la mélodie du texte s'est mise en place naturellement.

Diane Pavlovic :
C'est quand même très teinté d'une culture caribéenne, par exemple ces conteurs dont tu as parlés. Est-ce que tu te reconnais, Carole, dans ce que dit Lucette?

Carole Fréchette :
C'est ça la beauté de la chose, c'est que je reconnais mon œuvre. Bien sûr, je ne saisis pas toutes les résonnances des éléments caribéens, mais l'essentiel de ce qu'elle dit, sa façon d'aborder la pièce, les recherches qu'elle a menées, tout ça me rejoint.

Je voulais revenir sur l'aspect cinématographique du texte dont tu parlais plus tôt, Diane. C'est quelque chose qu'on me dit souvent à propos de mes pièces, et du Collier d'Hélène en particulier, qu'on compare parfois à un « road movie ». Je me considère très classique dans mon écriture, je respecte les unités de temps et de lieux et je n'aime pas beaucoup, au théâtre, les tentatives pour multiplier les lieux : on apporte une chaise pour dire qu'on est rendu dans un café, puis un lampadaire pour le coin de la rue, ça finit par m'ennuyer. Pourtant, avec cette pièce, mon idée de départ tournait autour d'une femme en déroute dans une ville étrangère qui finit par l'avaler. Et je me demandais bien comment j'allais mener tout ça. À un moment donné, j'ai réalisé que la seule chose que j'avais, c'était les mots. Je n'ai jamais décidé que je ferais une pièce narrative, c'est né d'une nécessité qui est : je veux que cette femme se perde dans la ville de plus en plus, une ville que je dois faire exister. Tout devient simple : j'entre dans le taxi, je vois la mer au loin, je vois les buildings, je vois les fils électriques, et voilà, la ville, elle existe dans les mots.

Donc, s'il y a des aspects cinématographiques dans le récit, la forme reste très théâtrale ; j'ai pu en prendre la pleine mesure lorsque j'ai tenté d'en faire une adaptation cinématographique. Quand la pièce a joué à Beyrouth, il y a un jeune producteur-réalisateur libanais qui m'a contactée et qui m'a dit : « Je voudrais absolument faire un film à partir du Collier d'Hélène », et il est venu à Montréal pour me rencontrer et en discuter. Au début, j'ai dit : « Oui, vous pouvez faire le film, mais moi je ne m'occupe pas de ça. » Il m'a dit : « Non, je veux absolument que ce soit vous qui fassiez le scénario, c'est une chose qui vous est très intime, je ne veux pas demander à quelqu'un d'autre. Ce sera simple, ça va prendre trois mois, vous allez voir. »

J'ai donc dit oui ... mais ça m'a pris beaucoup plus que trois mois. Au théâtre, pour faire apparaître un chantier de construction, tu fais dire au contremaître : « C'est un chantier, madame! Regardez autour de vous, qu'est-ce que vous voyez? Des grues, des ... » Et voilà, le chantier, il existe, pas besoin d'en savoir plus que ça et chacun dans la salle se construit mentalement son chantier. Au cinéma, on ne peut pas simplement dire « Je monte dans le taxi, je regarde la mer », les mots sont insuffisants. Le producteur me bombardait de questions auxquelles je n'avais pas de réponses : « D'après toi, est-ce que c'est un petit chantier ou un gros chantier? Et est-ce que c'est une petite maison qui est en train d'être construite, ou alors un grand immeuble ? Est-ce qu'il y a encore un mur, ou il n'y a plus de mur? » Il fallait trouver un lieu pour filmer la scène, le chantier devenant le même pour tous.

J'ai travaillé très fort sur le scénario, j'ai fait plusieurs versions, le réalisateur a essayé de le produire, c'est passé bien proche mais là j'ai l'impression que ça ne se fera pas finalement parce qu'il n'a jamais trouvé assez d'argent. Il a obtenu du financement au Liban, mais il a essayé d'avoir également des fonds du Canada, il n'a pas pu, même réponse du côté de la France. Il faut dire que c'est un jeune cinéaste, ce serait son premier film, ça ne facilite pas les choses auprès des bailleurs de fonds ...

Si l'expérience me permet de dire que je ne retenterai pas le coup de l'adaptation d'une de mes propres pièces, elle m'aura permis de sentir vraiment dans mon corps la différence entre le théâtre et le cinéma. Les images que crée le cinéma, elles sont déjà dans les mots qui me permettent de me faire ce petit film qui se déroule dans ma tête lorsque j'écris, que je lis et que j'écoute. Il n'y a pas que le sujet qui compte, sans les mots, ce n'est plus la même œuvre.

La solution pour monter Le collier d'Hélène, c'est un espace vide, pour que la ville existe dans les mots ; plus on va mettre de lampadaires et de taxis, moins les mots vont avoir de place et moins la ville va exister. Tellement de gens après Le Collier d'Hélène m'ont dit : « Mais on la voit, la ville. » Même les Libanais nous disaient ça : « On voit Beyrouth. » Mais pourtant, il n'y a que très peu de choses, la description n'est pas très précise. Pour cette raison, je pense qu'il faut vraiment l'aborder dans un grand dépouillement. Je n'ai pas été surprise tout à l'heure lorsque Lucette racontait que sa troupe avait essayé de jouer avec des puzzles qui se sont avérés plutôt encombrants. Il faut faire confiance aux mots et aux acteurs. Parfois, ça fait peur.

Transcription du verbatim par Émilie Jobin, mise en forme par Alexandre Cadieux.

Montréal, 29 octobre 2009